Creuset des officiers de l’armée de Terre depuis 1945, Coëtquidan accueillait jusque récemment les Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan (ESCC), composées actuellement de l’Ecole Spéciale Militaire (ESM), et l’Ecole Militaire Inter-Armes (EMIA). Mais tandis que les ESCC évoluent en Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, une troisième école vient d’y naître, qui a défilé pour la première fois en ce 14 juillet 2021 : l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan (EMAC). En fait continuation du 4e Bataillon de la Spéciale (ESM4) sous un autre nom, elle n’apparaît pas seule, mais dans le cadre d’une profonde rénovation de la formation des officiers, elle-même engagée dans un cadre plus large d’évolution des formations intiales.

De G à D : EMIA, ESM, EMAC (image AMSCC).

Plusieurs raisons à cela, sur lesquelles nous reviendrons en conclusion, après une remise en perspective historique nécessaire à comprendre pourquoi la création de cette école est un jalon important de notre riche histoire militaire française.

La formation des officiers dans l’Ancien Régime

En 1748, alors que se termine la Guerre de Succession d’Autriche, Hermann-Moritz von Sachsen, Jeanne-Antoinette Poisson, et Joseph Pâris, suggèrent au roi Louis XV de réformer en profondeur la formation des officiers.

De G à D : Maurice de Saxe, Madame de Pompadour, Joseph Pâris-Duverney.

Si ces noms ne vous parlent pas, c’est normal, l’histoire les a retenus sous d’autres titres. Le premier est le maréchal Maurice de Saxe, alors grand patron des armées françaises après une exceptionnelle carrière militaire, la seconde est Madame de Pompadour, maîtresse du roi et actrice majeure du paysage politique d’alors, et le dernier, plus connu sous le nom de Joseph Duverney, est administrateur général des subsistances des armées, en gros intendant général en charge des approvisionnement, après avoir été notamment ministre … et commencé soldat à 17 ans au sein du régiment des Gardes Françaises, une unité d’infanterie d’élite de la Maison du Roi.

Il existe alors différents types d’officiers, pour simplifier nous distinguerons uniquement les officiers des armes, appartenant à l’armée professionnelle, et les officiers des milices, rattachés aux milices urbaines, provinciales et côtières, corps de réserve non-permanents.

Les officiers des armes

Jusque-là, les officiers des armes étaient formés, selon leur naissance et la fortune de leur famille, sur un principe n’ayant guère changé depuis les grandes réformes militaires de Louis XI près de trois siècles plus tôt :

  • tantôt pour la noblesse aisée, dans diverses académies militaires réparties sur le territoire, ou dans les écoles de pages des Ecuries du Roi ou des princes pour les plus “chanceux” (bien que la formation y soit souvent plus dure), avant de suivre une carrière souvent brillante pour ceux survivant aux nombreux conflits ;
  • tantôt pour la noblesse modeste ou les enfants non-nobles, dans les “compagnies de jeunes gentilshommes” et de “cadets“, plus spécifiquement chargées de former des officiers subalternes, bien que certains aux mérites exceptionnels atteindront des grades élevés (officiers-majors, l’équivalent d’officiers supérieurs à généraux de brigade, voire pour certains officiers-généraux, équivalent de nos généraux 3* et plus).
Officier, officier subalterne, sous-officier, et soldat en haut, d’un régiment d’infanterie français vers 1635 (Source : tercios.fr).

Il est à noter qu’en fonction des orientations souhaitées, différentes écoles / académies existent, par exemple pour les futurs officiers de cavalerie, d’artillerie, de Marine (compagnies des Gardes de la Marine), d’infanterie de Marine, qui a l’époque n’est pas rattachée à l’armée de Terre, certes (compagnies des cadets de la Marine), etc.

Sous-officier et officier de gendarmerie vers 1635 (Source : tercios.fr).

De plus, et contrairement à un mythe communément accepté, il n’est pas rare que de jeunes nobles destinés au métier des armes et donc supposément élèves-officiers dès leur première année de service, s’engagent initialement comme simples soldats, soit par manque de moyens (les officiers d’alors ayant une lourde charge financière à assumer envers leur troupe), soit par choix délibéré. François de Chevert, engagé comme simple soldat à … 11 ans, lieutenant-colonel à 44, puis général à 46 pour bravoure à la tête de ses hommes avant de devenir plus tard gouverneur militaire jusqu’à sa mort à 74 ans, en est un des exemples.

Epitaphe de François de Chevert, Eglise Saint-Eustache à Paris (image Wikipedia).

Les officiers des milices

Depuis le Moyen-Âge le principe du service armé quelques jours par an, parallèle aux armées professionnelles (grandes compagnies, maisons militaires, osts) habite l’esprit occidental. En France, l’évolution des différentes milices (12ème siècle) depuis Philippe Auguste aboutit dès le 16ème siècle à la création de trois catégories de milices : les urbaines ou bourgeoises, les provinciales, et les côtières.

En 1688 le système est grandement réformé et l’ensemble forme les milices royales, ancêtres de notre Réserve Opérationnelle, chargées alors notamment de la garde des places fortes comme de travaux de génie ou de fonctions de soutien mais aussi parfois engagées en combat.

Soldats des milices, vers 1750 (Source : Carl Pépin).

Si l’existence même de ces milices fut longtemps fort impopulaire dans la population civile (notamment du fait du tirage au sort de ses soldats de base), son encadrement d’officiers fut encore plus problématique, nécessitant soit de ponctionner des officiers en fonction soit de solliciter des officiers en “retraite” (pour blessures, reprise d’affaires familiales ou d’autres motifs).

Le tirage au sort des miliciens, 1708.

Un système d’autant plus insatisfaisant que l’expérience montra que les milices, malgré leur mauvaise volonté initiale, pouvaient fournir d’excellentes troupes de terrain, certains cadres mobilisés se retrouvant en temps de guerre atteindre le grade de lieutenant ou de capitaine, dits “de fortune”, voire au-delà. Louis XV ira même jusqu’à professionnaliser les grenadiers des milices suite à leur valeur au combat, en créant le corps des grenadiers du roi en 1744.

Grenadiers du Roi, 1762.

Une nécessaire réforme

La France, alors puissance militaire et diplomatique dominante, a en effet vu ses officiers payer un très lourd tribut lors des guerres du début du 18ème siècle, notamment du fait de la disparité des niveaux de formation dans des guerres toujours plus massives : près de 2 millions de soldats morts dans toute l’Europe entre 1700 et 1750, dans une Europe d’alors 120 – 140 millions d’habitants (à comparer aux 750 millions d’aujourd’hui).

Le Maréchal de Villars à la tête de ses hommes, bataille de Denain (1713) (image Wikipedia).

Il n’est ainsi pas rare que des “officiers du roi”, issus des plus prestigieuses formations initiales, soit tués et remplacés sur le terrain par des subordonnés venus d’autres voies, y compris des cadres subalternes des milices.

En 1726, une première réforme touche les milices provinciales, reformées en unités permanentes à temps partiel (type réserve moderne), et dotées d’écoles de cadets spécifiques, servant sans solde (!) et formés localement afin de disposer de cadres connaissant leur troupe (d’autant plus important qu’à l’époque les patois et accents régionaux peuvent rendre difficiles les échanges entre personnes de régions différentes). C’est ainsi qu’est pour la première fois harmonisée la formation d’officiers à la fois sous contrat et de réserve.

Officier des milices, deuxième moitié du 18ème siècle.

Mais la Guerre de Succession d’Autriche montre la nécessité de revoir également la formation des officiers de l’armée professionnelle, et le Maréchal de Saxe aborde alors son idée avec la maîtresse du roi, qui y enjoint Duverney.

Maurice de Saxe, mort en 1750, ne verra pas la concrétisation de son projet, lancé en 1751 avec la création par Louis XV de l’Ecole Royale Militaire à Paris, initialement destinée à la formation des futurs officiers issus de la noblesse pauvre, et où l’entrée se fait sur concours après scolarité dans l’un des nombreux collèges militaires de province créés tout au long de la deuxième moitié du 18ème siècle par transformation d’établissements existants (dont l’ancêtre de l’actuel Prytanée National Militaire à La Flèche).

De l’Ancien Régime à la République

Mais les finances de l’Etat sont au plus bas après de plusieurs décennies de conflits, et les travaux peinent à avancer. La Duchesse de Pompadour et Joseph Duverney en viennent à payer de leur poche les travaux pour que l’école puisse ouvrir, et accueillir ses premiers élèves en 1756. Mais, en 1760, l’ensemble architectural n’étant toujours pas achevé, les élèves sont répartis entre Paris et le Collège Royal Militaire de La Flèche, jusqu’en 1776.

Collège Royal Militaire de La Flèche vers 1750 (source : reseau-canope.fr)

A cette date, la fin des travaux est enfin en vue, et Paris peut reprendre son rôle d’école finale de la formation des officiers. 12 collèges militaires sont donc créés sur tout le territoire national et viennent s’ajouter à d’autres écoles transformées pour l’occasion (dont Brienne d’où sortira Napoléon Bonaparte), La Flèche devenant l’un d’entre eux.

L’école militaire de Paris peu après sa création (image pariszigzag.fr)

Mais seulement 7 ans plus tard, l’école ferme, et la formation des officiers retourne entièrement aux écoles militaires de province, jusqu’à la Révolution.

Or le recrutement des officiers est considérablement modifié en 1781 par l’Edit de Ségur, du nom du maréchal de France en ayant endossé la responsabilité malgré son opposition personnelle au projet. Cet édit abandonne le principe d’annoblissement des “bas-officiers” (terme d’alors pour les sous-officiers) méritants, principe qui impliquait l’accession à l’épaulette d’officier, et interdit l’accès aux rangs d’officiers d’infanterie, de cavalerie et de dragons, à tous ceux ne pouvant prouver quatre quartiers de noblesse patrilinéaire française, et se voit étendu à l’infanterie étrangère (régiments suisses, irlandais etc. de l’armée française), et à la cavalerie légère (hussards et chasseurs à cheval) dès 1784. Seules l’artillerie et le génie restaient ouverts (d’où le choix de Napoléon Bonaparte notamment de s’engager dans l’artillerie).

Napoléon officier d’artillerie au siège de Toulon, peinture de Detaille.

Réaction maladroite à l’incurie de nombre d’officiers supérieurs de la Guerre de Sept Ans, qui n’étaient souvent issus que d’une noblesse récente de bourgeois ayant acheté charge nobiliaire et régiment, elle va paradoxalement cristalliser les tensions de la petite noblesse ancienne de province, fournissant traditionnellement une bonne part des officiers, dont nombre d’entre eux sont dégradés aux rangs de bas-officiers, mais aussi les tensions des officiers d’extraction roturière, carrément dégradés au rang de troupiers suite à cet édit.

Ceci alors même que certains d’entre ces officiers de petite noblesse ou d’extraction non-noble ont participé à l’indépendance américaine sur les divers fronts (Amériques, Europe, Asie), et que beaucoup se sont passionnés pour. Elément souvent négligé des cours d’histoire, c’est pourtant l’un des points de départ importants de l’esprit de la Révolution Française initiale.

Le Major français du film The Patriot avec Mel Gibson sur l’indépendance américaine, exemple fictif d’officier français engagé dans une mission type DIO de l’époque.

L’intermède révolutionnaire

En 1793, les révolutionnaires de la Convention Nationale (régime résultant de l’abolition de la monarchie) lancent une profonde réforme des armées (Premier Amalgame), où sont intégrés côte à côté professionnels de l’armée régulière, et miliciens des régiments des provinces plus gardes bourgeoises et volontaires nationaux, devenus Garde Nationale en 1791.

Officiers et soldats de la Garde Nationale, 1791 (image Wikipedia).

Dans la même logique, la création d’une nouvelle école de cadres est décidée, chose faite en 1794, avec l’Ecole de Mars installée sur l’emplacement de l’actuelle Porte Maillot. Créée sous le régime d’exception de la Terreur, elle se positionne en opposition totale avec les anciennes écoles militaires royales :

  • ne sont acceptés que des enfants de familles non-nobles (réaction totale à l’édit de Ségur) et notablement pro-révolutionnaires ou révolutionnaires eux-mêmes ;
  • aucun critère scolaire n’est posé à l’admission, et de nombreux élèves issus du “petit peuple” n’y savent ni lire ni écrire ;
  • et la discipline est dénigrée, a contrario de l’instruction type de l’Ancien Régime, particulièrement dure : les décisions sont votées par les élèves entre eux, l’encadrement n’étant chargé que de l’instruction.

Mais tant le manque de moyens que la volonté de rusticité y servant de prétexte font loger les élèves dans des conditions effroyables : ils vivent sous tentes, n’ont que peu de commodités d’hygiène, et l’approvisionnement alimentaire est problématique.

L’école de Mars sur la Plaine des Sablons, aujourd’hui près de la Porte Maillot.

La création de l’école s’est pourtant faite à grands frais : uniformes et glaives dessinés par David et taillés dans les plus beaux tissus, d’un style insolite, projet de construction d’un camp permanent dédié, etc.

Elèves de l’Ecole de Mars (image lookandlearn.com).

Mais, expérience catastrophique née dans les remous d’une période sanglante, l’école voulue éternelle comme le régime qui l’avait créée, fut fermée à peine … 6 mois après sa création.

Dans ce même délai, les effectifs de l’armée étaient passés d’à peine 200 000 hommes à plus de 800 000 … Il fallait donc trouver des cadres, d’autant que nombres d’officiers avaient émigré (près de 4000) quand ils n’avaient pas été exécutés (au moins 1000 à 1500 officiers), malgré parfois l’opposition armée de leurs propres hommes.

Armée de Sambre et Meuse, 1795. Un exemple illustré des défis logistiques et humains du changement de format de l’armée française lors de la Révolution.

Les nouveaux officiers furent donc élus, par leurs hommes, et très souvent issus de la troupe. Si le manque de formation académique put poser problème, l’efficacité opérationnelle de ces nouveaux cadres fut réelle. Pour nombre d’entre eux anciens gradés subalternes de l’armée d’Ancien Régime, il s’agissait souvent de soldats aguerris, et les succès des armées révolutionnaires témoignent de leur valeur militaire.

Du Directoire au Second Empire

Si l’idéal révolutionnaire et l’élan patriotique avaient enflammé les coeurs et motivé nombre de volontaires, la réalité des affrontements armés, de la vie militaire, et des tensions politiques internes de l’époque, entraînairent un nombre croissant de désertions, y compris chez les cadres, et des difficultés grandissantes à recruter.

Le Directoire tout juste établi (octobre 1795), l’armée est profondément réformée en 1796 (Deuxième Amalgame) de même que la formation de ses cadres.

Ainsi, en 1798 (même année qu’est instauré de manière harmonisée le service militaire obligatoire) est créé à Paris, sur l’emplacement du collège Louis-le-Grand, le Prytanée Français. Sa vocation d’école transitoire pour la formation des futurs cadres de la Nation en attendant qu’un système pérenne soit créé, et le très grand nombre de ses élèves, fait que l’école est divisée dès 1800 par Napoléon alors Premier Consul, en 4 établissements centraux (Paris, Versailles, Saint-Germain-en-Laye, et Fontainebleau) chacun dotés de centres secondaires, tous appelés Prytanées, dont un à Saint-Cyr. Lesdits établissements conservent la vocation d’accueil des fils de militaires du Prytanée de 1798, et y prodiguent une formation certes militarisée mais qui ouvre également voie aux carrières civiles.

Le Prytanée Français, sur l’emplacement de l’actuel lycée Louis-le-Grand (Paris).

En 1802 Bonaparte crée à Fontainebleau l’Ecole Spéciale Militaire, chargée de former les futurs officiers de l’armée. Ouverte en 1803, on y accède après passage par le tout nouveau Collège Militaire de Saint-Cyr, qui devient par sa fonction militaire renforcée d’école préparatoire, la seule école à pouvoir être appelée “Prytanée français”.

Les premiers officiers formés par l’Ecole Spéciale Militaire (devenue Impériale) sortent en 1805 et nombre d’entre eux tomberont bravement à Austerlitz, origine des commémorations du 2S.

Napoléon au soir d’Austerlitz, peinture de Gérard.

En 1808 l’Ecole Spéciale Impériale Militaire est transférée de Fontainebleau à Saint-Cyr, et le Prytanée de Saint-Cyr à La Flèche.

L’Ecole Spéciale, maintenue sous la Restauration, défile le 08 août 1819 devant Louis XVIII, qui, les nommant alors “Premier Bataillon de France”, leur adresse des mots gravés dans l’histoire de la “Spéciale” :

“Il n’en est pas un dans vos rangs qui n’ait pas dans sa giberne le bâton de maréchal de France.”

Louix XVIII, 1819
Elèves de Saint-Cyr vers 1830 (image saint-cyr.org).

Survivant aux changements de régimes du 19ème siècle, la Spéciale devient en 1830 Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, avant d’adopter sous le Second Empire son emblématique Casoar, issu du shako de dotation d’alors décoré par les élèves eux-mêmes de plumes rouges et blanches (aux couleurs anglaises) à l’occasion d’un défilé en l’honneur de la reine Victoria en 1855.

Le nom de l’école ne changera plus (certes y sera rajouté “Impériale” sous le Second Empire), et la tenue n’évoluera que très peu jusqu’à nos jours, créant un fort ancrage de tradition dans l’imaginaire collectif, reconnaissable même chez les moins versés dans les choses militaires.

Elève officier de l’ESM vers 1845.

Pendant ce temps, différentes écoles d’armes (infanterie à Saint-Maixent, cavalerie à Saumur par exemple) sont chargées de former les officiers issus non pas d’un recrutement académique, mais des corps de troupe.

Démonstration de fin de formation pour des élèves de l’école impériale de cavalerie de Saumur, Second Empire.

A noter qu’alors les officiers, d’active ou de réserve, sont tous formés de la même façon, le service militaire pour les citoyens durant 5 ans … Oui, c’est difficile à concevoir de nos jours, ce fut pourtant la norme pendant plus d’un siècle, et à peine moins bien plus longtemps encore.

Les réservistes rappelés rejoignent leur affectation, 1870 (image Wikipedia).

De la Troisième République à nos jours

Si après la défaite française de 1870 – 1871, des évolutions sont faites dans la formation des cadres et dans les recrutements et formations des soldats d’active et de réserve notamment pour éviter le syndrome de vieillissement des effectifs, sur le fond le “système français” qui a fait ses preuves perdure.

Combat de Chenebier, 1871 (image Wikipedia).

A partir de 1872, plus aucune exemption au service militaire n’est possible. Gambetta rappelait l’année précédente le principe républicain fondateur :

“Que pour tout le monde il soit entendu que quand en France un citoyen est né, il est né soldat.”

Léon Gambetta, 1871

Cependant, le citoyen-soldat se doit d’être neutre dans le cadre de son travail au service de la communauté, et le droit de vote aux militaires est alors supprimé, créant de fait la “Grande Muette” (Loi Cissey).

Artilleurs français pendant la guerre franco-prussienne de 1870 – 1871.

En 1889, la durée du service militaire est ramenée à 3 ans (Loi Freycinet), avant de passer à 2 ans en 1905 (Loi Berteaux) pour la troupe, et possibilité de dépasser pour ceux présentant un potentiel de cadre.

Capitaine Adjudant-Major d’infanterie de ligne vers 1885.

Ce service militaire universel, où tous servent selon leurs capacités intellectuelles et physiques, permettra à la France de survivre aux deux Guerres Mondiales, et verra s’ancrer un principe social fort, popularisé par Lyautey alors jeune officier avec son célèbre article “Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel“. Lyautey auquel nous devons les premiers réfectoires (création du premier “ordinaire” pour les hommes de troupe), les foyers, et ce qui deviendra les REVAT / PEVAT (pour nos lecteurs civils : Représentant des Engagés Volontaires de l’Armée de Terre, c’est-à-dire les militaires du rang, et Président des mêmes engagés).

La vie aux quartiers vers 1910.

Si les durées continueront de varier, notamment en fonction des besoins imposés par les guerres subies par la France, elles resteront importantes (entre 1 et 4 ans), et verront jusque 1971 (Loi Debré) la formation des cadres de réserve (qui peuvent être féminins depuis 1970, mesdames ayant depuis accès au service sur la base du volontariat) rester sensiblement similaire voire identique à celles des actifs.

Soldats de la 6 CPIMa au Tchad, 1969 – 1972 (image fnapara.fr)

Formation qui, après la fin de la Première Guerre Mondiale en 1918, s’effectue pour les futurs officiers de réserve, au sein du 3e Bataillon de l’Ecole Spéciale Militaire, alias ESM3. Ses élèves portent également le Grand Uniforme jusque dans les années 1920, puis officiellement à partir de 1931, avec le Casoar également à partir de 1935, et l’un d’entre eux intègre chaque année la Garde au Drapeau. Une volonté assimilatrice dans le “creuset des officiers” qui perdurera jusqu’en 1959, hormis promotions de la Seconde Guerre Mondiale réalisées dans différentes écoles disséminées en Grande-Bretagne et outremer en France Libre.

Ainsi, de 1940 à 1944, l’occupation perturbe évidemment les formations, et le “Prytanée Militaire” (à ne pas confondre avec celui de La Flèche, déplacé entre Valence et Briançon) installé à Rake Manor (près de Londres) puis à Malvern devient l’Ecole des Cadets de la France Libre, considérée comme héritière de la Spéciale par le Général de Gaulle, jusqu’à ce que le rôle soit relevé en 1944 par l’Ecole d’Elèves Aspirants de Cherchell créée en 1942 et devenue Ecole Militaire de Cherchell, puis Ecole Militaire Interarmes (EMIA) en 1945, où elle prend alors la relève à la fois de l’ESM Saint-Cyr (recrutement externe sur concours) et de Saint Maixent (recrutement interne + école de l’infanterie) qu’elle amalgame en une seule école, selon la volonté chère au général de Lattre de Tassigny, attaché au principe de creuset commun.

Cadets de la France Libre de Malvern (image france-libre.net).

L’EMIA, transférée temporairement en Bretagne à Coëtquidan en 1945 car le site de Saint-Cyr-l’Ecole est détruit par les bombardements, devient ESMIA en 1947.

Si les Elèves Officiers de Réserve (EOR) de l’armée métropolitaine sont formés à Saint-Maixent jusqu’en 1958, ceux destinés à servir dans la Coloniale, la Légion Etrangère ou tout autre unité affectée outre-mer, restent amalgamés, sauf exceptions formées à Cherchell entre 1949 et 1958, puis de façon systématique de 1959 à 1962 devant le besoin grandissant en élèves (parmi ces élèves, Jean-Pierre Chevènement, Frère Paul alias Paul Favre-Miville, assassiné à Tibhirine en 1996, et le Capitaine Biancamaria, AEPNM) avant de revenir dans les écoles d’armes de métropole (dont Montpellier).

Chant de la promotion Biancamaria, 41ème promotion de l’EMIA.

Finalement, la Spéciale ne quittera pas la lande bretonne. Des travaux ont bien été lancés pour un retour à Saint-Cyr-l’Ecole, mais les vastes étendues de brouillard arthurien s’avèrent plus adaptées aux manoeuvres du combat moderne que l’école ancienne aux murs conçus pour un temps révolu.

En 1959 il est donc acté que l’ESMIA restera à Coëtquidan, et de fortes mobilisations font perdurer à Saint-Cyr-l’Ecole une structure académique sous la forme d’une école militaire qui ouvre ses portes en 1966 et perdure à ce jour (Lycée Militaire de Saint-Cyr).

En 1961, de Lattre de Tassigny mort depuis 9 ans, de Gaulle peut revenir à son idée de dissocier les formations directe et semi-directe, et entamer un processus de refonte évolutive de l’ESMIA. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas la volonté de préserver les jeunes “directs” du contact jugé traumatisant avec les vétérans de la Guerre d’Algérie qui préside à ce choix, mais celle de simplifier tout simplement le cursus pour les élèves officiers “issus du rang”.

En effet, les semi-directs sont alors versés en première partie de formation sur la promotion directe entrante, puis en fin de formation sur la promotion directe sortante, ce qui permettait certes un large brassage et la création de liens forts avec des directs de deux promotions en même temps, mais brouillait quelque peu la visibilité et le sentiment d’appartenance des semi-directs. Ainsi par exemple le “2ème Bat'” 1955-1956 a-t-il fait ses six premiers mois au sein de la promotion Franchet d’Esperey (55-57), et ses six derniers avec l’Amilakvari (54-56).

Le mélange avec des vétérans d’Indochine avait été au contraire perçu comme particulièrement intéressant pour les élèves des promotions d’alors, avec un mix rare où certains cadres de l’école avait servi aux côtés de certains de leurs futurs élèves quelques années plus tôt, et il n’était pas rare d’y trouver des élèves décorés d’une Valeur Militaire, d’une Croix de Guerre T.O.E. voire de la Médaille Militaire.

En 1966, la différenciation se poursuit donc, avec l’apparition d’un nouvel uniforme pour les élèves issus des sous-officiers (alors appelé “2e Bataillon”, plus familièrement “2e Bat”). Les Dolos (du nom d’une marque de corned-beef jadis dans les rations, non de la divinité grecque éponyme) deviennent une “race” à part entière : une école, un uniforme (qui reprend les couleurs de la tenue traditionnelle des officiers d’infanterie et du calot de Cherchell pour le képi), des traditions propres, et une formation, initialement d’un an, qui passera à deux en 1986.

Elèves officiers de l’EMIA, en tenue de tradition (image armée de Terre).

Dans le processus de refonte, des travaux sont entrepris, permettant à la fois de loger les nouveaux Dolos donc, mais aussi à partir de 1970 les formations d’EOR, assimilées au 3e Bataillon jusqu’à ce que celui-ci devienne la première année du cycle “Cyrard” en 1982 alors que le cycle de la Spéciale passe à trois ans.

Sans oublier, de 1977 à 2010, l’Ecole Militaire du Corps Technique et Administratif (EMCTA), déménagée en 2010 sous le nom historique d’Ecole d’Administration Militaire (initialement fondée en 1875) par fusion avec les autres organismes de formation d’officiers des services et corps administratifs, avant de devenir depuis 2013 l’Ecole des Commissaires des Armées (Salon de Provence).

Elèves de l’Ecole des Commissaires des Armées, répétition du 14 juillet 2021 (image ECA).

L’amalgame est cependant maintenu entre toutes les formations d’élèves officiers, d’active ou de réserve, de Saint-Cyr ou d’autres écoles (dont Polytechnique), pour les premiers mois destinés à l’ “acculturation militaire”.

Puis, à partir de 1991, les EOR sont renommés “4e Bataillon“, jusqu’à ce que la suspension du service militaire et l’évolution vers la professionnalisation des armées entraîne en 2001 l’apparition des premiers “officiers sous contrat“, intégrés à l’ESM4, puis plus récemment des premiers stagiaires issus des partenariats Grandes Ecoles notamment.

Académie Militaire de Saint-Cyr, EMAC, good news ?

Comme pour l’EMIA des actuels Dolos en son temps, la naissance de l’Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC) et de l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan (EMAC) est finalement l’évolution logique et prévisible des transformations des formations d’officiers depuis la professionnalisation des armées.

A 40:02 : premier défilé du 14 juillet pour les élèves de l’EMAC.

D’ailleurs son uniforme, bien que nouveau, s’inscrit dans la continuité d’une tradition militaire française ancrée dans son histoire, reprenant nombre d’éléments de la tenue d’officier modèle 1921, et le Bleu Horizon légendaire que conservèrent certaines unités de réserve jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Logique du fait que l’EMAC reprend aussi une partie des traditions des EOR (Elèves Officiers de Réserve), et notamment chant et devise : “L’Audace de Servir“.

Tenue des élèves de l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan.

Mais le nom d’ “Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan” quant à lui semble quelque peu alambiqué, les écoles étant habituellement nommées par le grade ou la fonction de sortie (école d’officer, de sous-officier, etc.). “Ecole Militaire des Officiers Sous Contrat” aurait paru plus logique. Cela reste du détail.

Si certains anciens ayant connu les formations partiellement ou totalement amalgamées ont pu nous faire part de leurs inquiétudes quant à l’éclatement des formations en un nombre toujours croissant d’écoles, l’armée de 2030 où serviront ces officiers n’est plus du tout celle de 1960, de 1980 ou même de 2000, et la spécialisation croissante engendrée par la technicité grandissante des moyens rend nécessaire des écoles et structures de formation spécifiquement adaptées, tout comme ce fut le cas en d’autres temps de grandes évolutions techniques dans l’art militaire avec l’apparition alors d’écoles spécialisées sur tout le territoire.

Expérimentation de robots, mai 2021. Plus à lire dans le “Terre-Intox” de mai dernier ici : https://fr.calameo.com/publication-armee-de-terre/read/0000633022bcd5639432b

Ainsi, chaque école de la nouvelle académie forme un profil défini d’élèves, destiné à un cursus professionnel particulier. Il est cependant à espérer qu’on ne passe pas à côté d’un profil novateur type “Bigeard” (qui a transformé le combat moderne avec l’emploi des hélicoptères au combat notamment) au motif que tel ou telle n’est pas “Cyrard” ou autre case pré-requise pour une carrière vermeil à laquelle ne sont a priori pas destinés les futurs officiers issus de l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan, mais a priori les évolutions successives des différents modes de formation sont prévus pour parer à cela, d’autant que la France est maintenant sur la meilleure des voies concernant son rapport à l’innovation de Défense dans tous ses aspects.

De plus, la conscience d’une possibilité de retour des conflits de haute intensité entre armées régulières équipées et entraînées implique d’adapter la formation des cadres à ces nouveaux enjeux, très différents de l’asymétrie habituelle ou hybridée des vingt dernières années, notamment du fait d’une notion de durée et de violence des engagements, impliquant l’entretien de la rusticité et de l’esprit guerrier si souvent mentionnés ces dernières années, mais notions toujours plus éloignées de la société civile, avec les problématiques que cela implique lors du recrutement et de la formation des personnels, qui doivent donc être adaptés.

Unité de reconnaissance du sous-groupement français lors de l’exercice de haute intensité Springstorm en mai 2021 (Image Ouest-France).

En outre, une telle structuration rend plus aisée l’attribution des moyens humains et matériels à ces formations, au détriment certes d’un esprit d’unicité pourra-t-on craindre.

On y répondra que la Sorbonne forme des élèves dans une foultitude de matières via une pléthore de formations différentes, sans que cela ne fasse se sentir les élèves moins “Sorbonnards” pour autant.

Il en sera certainement de même pour cette nouvelle Académie Militaire de Saint-Cyr, du moment qu’on lui laisse les années nécessaires à ce que se forme un esprit nouveau, où certains seront Cyrards, d’autres Dolos, d’autres sous d’autres surnoms à définir, mais où tous seront d’une identité-socle collective qui se construira avec le temps dans l’héritage nourricier commun d’un creuset d’officiers souvent déplacé, parfois éclaté, mais à la longévité plusieurs fois centenaire.

Reste le difficile sujet des formations (et rôles) des réserves, alors que la question revient de plus en plus souvent, mais c’est un autre point, certes lié, et considéré très sérieusement au plus haut niveau.

Clin d’oeil amical à H., récemment sortie une 2ème fois de l’ESM4, une première comme officier de réserve il y a quelques années, une deuxième comme OSC de la dernière promotion ESM4 avant l’EMAC.