Creuset des officiers de l’armée de Terre depuis 1945, Coëtquidan accueillait jusque récemment les Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan (ESCC), composées actuellement de l’Ecole Spéciale Militaire (ESM), et l’Ecole Militaire Inter-Armes (EMIA). Mais tandis que les ESCC évoluent en Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, une troisième école vient d’y naître, qui a défilé pour la première fois en ce 14 juillet 2021 : l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan (EMAC). En fait continuation du 4e Bataillon de la Spéciale (ESM4) sous un autre nom, elle n’apparaît pas seule, mais dans le cadre d’une profonde rénovation de la formation des officiers, elle-même engagée dans un cadre plus large d’évolution des formations intiales.
Plusieurs raisons à cela, sur lesquelles nous reviendrons en conclusion, après une remise en perspective historique nécessaire à comprendre pourquoi la création de cette école est un jalon important de notre riche histoire militaire française.
La formation des officiers dans l’Ancien Régime
En 1748, alors que se termine la Guerre de Succession d’Autriche, Hermann-Moritz von Sachsen, Jeanne-Antoinette Poisson, et Joseph Pâris, suggèrent au roi Louis XV de réformer en profondeur la formation des officiers.
Si ces noms ne vous parlent pas, c’est normal, l’histoire les a retenus sous d’autres titres. Le premier est le maréchal Maurice de Saxe, alors grand patron des armées françaises après une exceptionnelle carrière militaire, la seconde est Madame de Pompadour, maîtresse du roi et actrice majeure du paysage politique d’alors, et le dernier, plus connu sous le nom de Joseph Duverney, est administrateur général des subsistances des armées, en gros intendant général en charge des approvisionnement, après avoir été notamment ministre … et commencé soldat à 17 ans au sein du régiment des Gardes Françaises, une unité d’infanterie d’élite de la Maison du Roi.
Il existe alors différents types d’officiers, pour simplifier nous distinguerons uniquement les officiers des armes, appartenant à l’armée professionnelle, et les officiers des milices, rattachés aux milices urbaines, provinciales et côtières, corps de réserve non-permanents.
Les officiers des armes
Jusque-là, les officiers des armes étaient formés, selon leur naissance et la fortune de leur famille, sur un principe n’ayant guère changé depuis les grandes réformes militaires de Louis XI près de trois siècles plus tôt :
- tantôt pour la noblesse aisée, dans diverses académies militaires réparties sur le territoire, ou dans les écoles de pages des Ecuries du Roi ou des princes pour les plus “chanceux” (bien que la formation y soit souvent plus dure), avant de suivre une carrière souvent brillante pour ceux survivant aux nombreux conflits ;
- tantôt pour la noblesse modeste ou les enfants non-nobles, dans les “compagnies de jeunes gentilshommes” et de “cadets“, plus spécifiquement chargées de former des officiers subalternes, bien que certains aux mérites exceptionnels atteindront des grades élevés (officiers-majors, l’équivalent d’officiers supérieurs à généraux de brigade, voire pour certains officiers-généraux, équivalent de nos généraux 3* et plus).
Il est à noter qu’en fonction des orientations souhaitées, différentes écoles / académies existent, par exemple pour les futurs officiers de cavalerie, d’artillerie, de Marine (compagnies des Gardes de la Marine), d’infanterie de Marine, qui a l’époque n’est pas rattachée à l’armée de Terre, certes (compagnies des cadets de la Marine), etc.
De plus, et contrairement à un mythe communément accepté, il n’est pas rare que de jeunes nobles destinés au métier des armes et donc supposément élèves-officiers dès leur première année de service, s’engagent initialement comme simples soldats, soit par manque de moyens (les officiers d’alors ayant une lourde charge financière à assumer envers leur troupe), soit par choix délibéré. François de Chevert, engagé comme simple soldat à … 11 ans, lieutenant-colonel à 44, puis général à 46 pour bravoure à la tête de ses hommes avant de devenir plus tard gouverneur militaire jusqu’à sa mort à 74 ans, en est un des exemples.
Les officiers des milices
Depuis le Moyen-Âge le principe du service armé quelques jours par an, parallèle aux armées professionnelles (grandes compagnies, maisons militaires, osts) habite l’esprit occidental. En France, l’évolution des différentes milices (12ème siècle) depuis Philippe Auguste aboutit dès le 16ème siècle à la création de trois catégories de milices : les urbaines ou bourgeoises, les provinciales, et les côtières.
En 1688 le système est grandement réformé et l’ensemble forme les milices royales, ancêtres de notre Réserve Opérationnelle, chargées alors notamment de la garde des places fortes comme de travaux de génie ou de fonctions de soutien mais aussi parfois engagées en combat.
Si l’existence même de ces milices fut longtemps fort impopulaire dans la population civile (notamment du fait du tirage au sort de ses soldats de base), son encadrement d’officiers fut encore plus problématique, nécessitant soit de ponctionner des officiers en fonction soit de solliciter des officiers en “retraite” (pour blessures, reprise d’affaires familiales ou d’autres motifs).
Un système d’autant plus insatisfaisant que l’expérience montra que les milices, malgré leur mauvaise volonté initiale, pouvaient fournir d’excellentes troupes de terrain, certains cadres mobilisés se retrouvant en temps de guerre atteindre le grade de lieutenant ou de capitaine, dits “de fortune”, voire au-delà. Louis XV ira même jusqu’à professionnaliser les grenadiers des milices suite à leur valeur au combat, en créant le corps des grenadiers du roi en 1744.
Une nécessaire réforme
La France, alors puissance militaire et diplomatique dominante, a en effet vu ses officiers payer un très lourd tribut lors des guerres du début du 18ème siècle, notamment du fait de la disparité des niveaux de formation dans des guerres toujours plus massives : près de 2 millions de soldats morts dans toute l’Europe entre 1700 et 1750, dans une Europe d’alors 120 – 140 millions d’habitants (à comparer aux 750 millions d’aujourd’hui).
Il n’est ainsi pas rare que des “officiers du roi”, issus des plus prestigieuses formations initiales, soit tués et remplacés sur le terrain par des subordonnés venus d’autres voies, y compris des cadres subalternes des milices.
En 1726, une première réforme touche les milices provinciales, reformées en unités permanentes à temps partiel (type réserve moderne), et dotées d’écoles de cadets spécifiques, servant sans solde (!) et formés localement afin de disposer de cadres connaissant leur troupe (d’autant plus important qu’à l’époque les patois et accents régionaux peuvent rendre difficiles les échanges entre personnes de régions différentes). C’est ainsi qu’est pour la première fois harmonisée la formation d’officiers à la fois sous contrat et de réserve.
Mais la Guerre de Succession d’Autriche montre la nécessité de revoir également la formation des officiers de l’armée professionnelle, et le Maréchal de Saxe aborde alors son idée avec la maîtresse du roi, qui y enjoint Duverney.
Maurice de Saxe, mort en 1750, ne verra pas la concrétisation de son projet, lancé en 1751 avec la création par Louis XV de l’Ecole Royale Militaire à Paris, initialement destinée à la formation des futurs officiers issus de la noblesse pauvre, et où l’entrée se fait sur concours après scolarité dans l’un des nombreux collèges militaires de province créés tout au long de la deuxième moitié du 18ème siècle par transformation d’établissements existants (dont l’ancêtre de l’actuel Prytanée National Militaire à La Flèche).
De l’Ancien Régime à la République
Mais les finances de l’Etat sont au plus bas après de plusieurs décennies de conflits, et les travaux peinent à avancer. La Duchesse de Pompadour et Joseph Duverney en viennent à payer de leur poche les travaux pour que l’école puisse ouvrir, et accueillir ses premiers élèves en 1756. Mais, en 1760, l’ensemble architectural n’étant toujours pas achevé, les élèves sont répartis entre Paris et le Collège Royal Militaire de La Flèche, jusqu’en 1776.
A cette date, la fin des travaux est enfin en vue, et Paris peut reprendre son rôle d’école finale de la formation des officiers. 12 collèges militaires sont donc créés sur tout le territoire national et viennent s’ajouter à d’autres écoles transformées pour l’occasion (dont Brienne d’où sortira Napoléon Bonaparte), La Flèche devenant l’un d’entre eux.
Mais seulement 7 ans plus tard, l’école ferme, et la formation des officiers retourne entièrement aux écoles militaires de province, jusqu’à la Révolution.
Or le recrutement des officiers est considérablement modifié en 1781 par l’Edit de Ségur, du nom du maréchal de France en ayant endossé la responsabilité malgré son opposition personnelle au projet. Cet édit abandonne le principe d’annoblissement des “bas-officiers” (terme d’alors pour les sous-officiers) méritants, principe qui impliquait l’accession à l’épaulette d’officier, et interdit l’accès aux rangs d’officiers d’infanterie, de cavalerie et de dragons, à tous ceux ne pouvant prouver quatre quartiers de noblesse patrilinéaire française, et se voit étendu à l’infanterie étrangère (régiments suisses, irlandais etc. de l’armée française), et à la cavalerie légère (hussards et chasseurs à cheval) dès 1784. Seules l’artillerie et le génie restaient ouverts (d’où le choix de Napoléon Bonaparte notamment de s’engager dans l’artillerie).
Réaction maladroite à l’incurie de nombre d’officiers supérieurs de la Guerre de Sept Ans, qui n’étaient souvent issus que d’une noblesse récente de bourgeois ayant acheté charge nobiliaire et régiment, elle va paradoxalement cristalliser les tensions de la petite noblesse ancienne de province, fournissant traditionnellement une bonne part des officiers, dont nombre d’entre eux sont dégradés aux rangs de bas-officiers, mais aussi les tensions des officiers d’extraction roturière, carrément dégradés au rang de troupiers suite à cet édit.
Ceci alors même que certains d’entre ces officiers de petite noblesse ou d’extraction non-noble ont participé à l’indépendance américaine sur les divers fronts (Amériques, Europe, Asie), et que beaucoup se sont passionnés pour. Elément souvent négligé des cours d’histoire, c’est pourtant l’un des points de départ importants de l’esprit de la Révolution Française initiale.
L’intermède révolutionnaire
En 1793, les révolutionnaires de la Convention Nationale (régime résultant de l’abolition de la monarchie) lancent une profonde réforme des armées (Premier Amalgame), où sont intégrés côte à côté professionnels de l’armée régulière, et miliciens des régiments des provinces plus gardes bourgeoises et volontaires nationaux, devenus Garde Nationale en 1791.
Dans la même logique, la création d’une nouvelle école de cadres est décidée, chose faite en 1794, avec l’Ecole de Mars installée sur l’emplacement de l’actuelle Porte Maillot. Créée sous le régime d’exception de la Terreur, elle se positionne en opposition totale avec les anciennes écoles militaires royales :
- ne sont acceptés que des enfants de familles non-nobles (réaction totale à l’édit de Ségur) et notablement pro-révolutionnaires ou révolutionnaires eux-mêmes ;
- aucun critère scolaire n’est posé à l’admission, et de nombreux élèves issus du “petit peuple” n’y savent ni lire ni écrire ;
- et la discipline est dénigrée, a contrario de l’instruction type de l’Ancien Régime, particulièrement dure : les décisions sont votées par les élèves entre eux, l’encadrement n’étant chargé que de l’instruction.
Mais tant le manque de moyens que la volonté de rusticité y servant de prétexte font loger les élèves dans des conditions effroyables : ils vivent sous tentes, n’ont que peu de commodités d’hygiène, et l’approvisionnement alimentaire est problématique.
La création de l’école s’est pourtant faite à grands frais : uniformes et glaives dessinés par David et taillés dans les plus beaux tissus, d’un style insolite, projet de construction d’un camp permanent dédié, etc.
Mais, expérience catastrophique née dans les remous d’une période sanglante, l’école voulue éternelle comme le régime qui l’avait créée, fut fermée à peine … 6 mois après sa création.
Dans ce même délai, les effectifs de l’armée étaient passés d’à peine 200 000 hommes à plus de 800 000 … Il fallait donc trouver des cadres, d’autant que nombres d’officiers avaient émigré (près de 4000) quand ils n’avaient pas été exécutés (au moins 1000 à 1500 officiers), malgré parfois l’opposition armée de leurs propres hommes.
Les nouveaux officiers furent donc élus, par leurs hommes, et très souvent issus de la troupe. Si le manque de formation académique put poser problème, l’efficacité opérationnelle de ces nouveaux cadres fut réelle. Pour nombre d’entre eux anciens gradés subalternes de l’armée d’Ancien Régime, il s’agissait souvent de soldats aguerris, et les succès des armées révolutionnaires témoignent de leur valeur militaire.
Du Directoire au Second Empire
Si l’idéal révolutionnaire et l’élan patriotique avaient enflammé les coeurs et motivé nombre de volontaires, la réalité des affrontements armés, de la vie militaire, et des tensions politiques internes de l’époque, entraînairent un nombre croissant de désertions, y compris chez les cadres, et des difficultés grandissantes à recruter.
Le Directoire tout juste établi (octobre 1795), l’armée est profondément réformée en 1796 (Deuxième Amalgame) de même que la formation de ses cadres.
Ainsi, en 1798 (même année qu’est instauré de manière harmonisée le service militaire obligatoire) est créé à Paris, sur l’emplacement du collège Louis-le-Grand, le Prytanée Français. Sa vocation d’école transitoire pour la formation des futurs cadres de la Nation en attendant qu’un système pérenne soit créé, et le très grand nombre de ses élèves, fait que l’école est divisée dès 1800 par Napoléon alors Premier Consul, en 4 établissements centraux (Paris, Versailles, Saint-Germain-en-Laye, et Fontainebleau) chacun dotés de centres secondaires, tous appelés Prytanées, dont un à Saint-Cyr. Lesdits établissements conservent la vocation d’accueil des fils de militaires du Prytanée de 1798, et y prodiguent une formation certes militarisée mais qui ouvre également voie aux carrières civiles.
En 1802 Bonaparte crée à Fontainebleau l’Ecole Spéciale Militaire, chargée de former les futurs officiers de l’armée. Ouverte en 1803, on y accède après passage par le tout nouveau Collège Militaire de Saint-Cyr, qui devient par sa fonction militaire renforcée d’école préparatoire, la seule école à pouvoir être appelée “Prytanée français”.
Les premiers officiers formés par l’Ecole Spéciale Militaire (devenue Impériale) sortent en 1805 et nombre d’entre eux tomberont bravement à Austerlitz, origine des commémorations du 2S.
En 1808 l’Ecole Spéciale Impériale Militaire est transférée de Fontainebleau à Saint-Cyr, et le Prytanée de Saint-Cyr à La Flèche.
L’Ecole Spéciale, maintenue sous la Restauration, défile le 08 août 1819 devant Louis XVIII, qui, les nommant alors “Premier Bataillon de France”, leur adresse des mots gravés dans l’histoire de la “Spéciale” :
“Il n’en est pas un dans vos rangs qui n’ait pas dans sa giberne le bâton de maréchal de France.”
Louix XVIII, 1819
Survivant aux changements de régimes du 19ème siècle, la Spéciale devient en 1830 Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, avant d’adopter sous le Second Empire son emblématique Casoar, issu du shako de dotation d’alors décoré par les élèves eux-mêmes de plumes rouges et blanches (aux couleurs anglaises) à l’occasion d’un défilé en l’honneur de la reine Victoria en 1855.
Le nom de l’école ne changera plus (certes y sera rajouté “Impériale” sous le Second Empire), et la tenue n’évoluera que très peu jusqu’à nos jours, créant un fort ancrage de tradition dans l’imaginaire collectif, reconnaissable même chez les moins versés dans les choses militaires.
Pendant ce temps, différentes écoles d’armes (infanterie à Saint-Maixent, cavalerie à Saumur par exemple) sont chargées de former les officiers issus non pas d’un recrutement académique, mais des corps de troupe.
A noter qu’alors les officiers, d’active ou de réserve, sont tous formés de la même façon, le service militaire pour les citoyens durant 5 ans … Oui, c’est difficile à concevoir de nos jours, ce fut pourtant la norme pendant plus d’un siècle, et à peine moins bien plus longtemps encore.
De la Troisième République à nos jours
Si après la défaite française de 1870 – 1871, des évolutions sont faites dans la formation des cadres et dans les recrutements et formations des soldats d’active et de réserve notamment pour éviter le syndrome de vieillissement des effectifs, sur le fond le “système français” qui a fait ses preuves perdure.
A partir de 1872, plus aucune exemption au service militaire n’est possible. Gambetta rappelait l’année précédente le principe républicain fondateur :
“Que pour tout le monde il soit entendu que quand en France un citoyen est né, il est né soldat.”
Léon Gambetta, 1871
Cependant, le citoyen-soldat se doit d’être neutre dans le cadre de son travail au service de la communauté, et le droit de vote aux militaires est alors supprimé, créant de fait la “Grande Muette” (Loi Cissey).
En 1889, la durée du service militaire est ramenée à 3 ans (Loi Freycinet), avant de passer à 2 ans en 1905 (Loi Berteaux) pour la troupe, et possibilité de dépasser pour ceux présentant un potentiel de cadre.
Ce service militaire universel, où tous servent selon leurs capacités intellectuelles et physiques, permettra à la France de survivre aux deux Guerres Mondiales, et verra s’ancrer un principe social fort, popularisé par Lyautey alors jeune officier avec son célèbre article “Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel“. Lyautey auquel nous devons les premiers réfectoires (création du premier “ordinaire” pour les hommes de troupe), les foyers, et ce qui deviendra les REVAT / PEVAT (pour nos lecteurs civils : Représentant des Engagés Volontaires de l’Armée de Terre, c’est-à-dire les militaires du rang, et Président des mêmes engagés).
Si les durées continueront de varier, notamment en fonction des besoins imposés par les guerres subies par la France, elles resteront importantes (entre 1 et 4 ans), et verront jusque 1971 (Loi Debré) la formation des cadres de réserve (qui peuvent être féminins depuis 1970, mesdames ayant depuis accès au service sur la base du volontariat) rester sensiblement similaire voire identique à celles des actifs.
Formation qui, après la fin de la Première Guerre Mondiale en 1918, s’effectue pour les futurs officiers de réserve, au sein du 3e Bataillon de l’Ecole Spéciale Militaire, alias ESM3. Ses élèves portent également le Grand Uniforme jusque dans les années 1920, puis officiellement à partir de 1931, avec le Casoar également à partir de 1935, et l’un d’entre eux intègre chaque année la Garde au Drapeau. Une volonté assimilatrice dans le “creuset des officiers” qui perdurera jusqu’en 1959, hormis promotions de la Seconde Guerre Mondiale réalisées dans différentes écoles disséminées en Grande-Bretagne et outremer en France Libre.
Ainsi, de 1940 à 1944, l’occupation perturbe évidemment les formations, et le “Prytanée Militaire” (à ne pas confondre avec celui de La Flèche, déplacé entre Valence et Briançon) installé à Rake Manor (près de Londres) puis à Malvern devient l’Ecole des Cadets de la France Libre, considérée comme héritière de la Spéciale par le Général de Gaulle, jusqu’à ce que le rôle soit relevé en 1944 par l’Ecole d’Elèves Aspirants de Cherchell créée en 1942 et devenue Ecole Militaire de Cherchell, puis Ecole Militaire Interarmes (EMIA) en 1945, où elle prend alors la relève à la fois de l’ESM Saint-Cyr (recrutement externe sur concours) et de Saint Maixent (recrutement interne + école de l’infanterie) qu’elle amalgame en une seule école, selon la volonté chère au général de Lattre de Tassigny, attaché au principe de creuset commun.
L’EMIA, transférée temporairement en Bretagne à Coëtquidan en 1945 car le site de Saint-Cyr-l’Ecole est détruit par les bombardements, devient ESMIA en 1947.
Si les Elèves Officiers de Réserve (EOR) de l’armée métropolitaine sont formés à Saint-Maixent jusqu’en 1958, ceux destinés à servir dans la Coloniale, la Légion Etrangère ou tout autre unité affectée outre-mer, restent amalgamés, sauf exceptions formées à Cherchell entre 1949 et 1958, puis de façon systématique de 1959 à 1962 devant le besoin grandissant en élèves (parmi ces élèves, Jean-Pierre Chevènement, Frère Paul alias Paul Favre-Miville, assassiné à Tibhirine en 1996, et le Capitaine Biancamaria, AEPNM) avant de revenir dans les écoles d’armes de métropole (dont Montpellier).
Finalement, la Spéciale ne quittera pas la lande bretonne. Des travaux ont bien été lancés pour un retour à Saint-Cyr-l’Ecole, mais les vastes étendues de brouillard arthurien s’avèrent plus adaptées aux manoeuvres du combat moderne que l’école ancienne aux murs conçus pour un temps révolu.
En 1959 il est donc acté que l’ESMIA restera à Coëtquidan, et de fortes mobilisations font perdurer à Saint-Cyr-l’Ecole une structure académique sous la forme d’une école militaire qui ouvre ses portes en 1966 et perdure à ce jour (Lycée Militaire de Saint-Cyr).
En 1961, de Lattre de Tassigny mort depuis 9 ans, de Gaulle peut revenir à son idée de dissocier les formations directe et semi-directe, et entamer un processus de refonte évolutive de l’ESMIA. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas la volonté de préserver les jeunes “directs” du contact jugé traumatisant avec les vétérans de la Guerre d’Algérie qui préside à ce choix, mais celle de simplifier tout simplement le cursus pour les élèves officiers “issus du rang”.
En effet, les semi-directs sont alors versés en première partie de formation sur la promotion directe entrante, puis en fin de formation sur la promotion directe sortante, ce qui permettait certes un large brassage et la création de liens forts avec des directs de deux promotions en même temps, mais brouillait quelque peu la visibilité et le sentiment d’appartenance des semi-directs. Ainsi par exemple le “2ème Bat'” 1955-1956 a-t-il fait ses six premiers mois au sein de la promotion Franchet d’Esperey (55-57), et ses six derniers avec l’Amilakvari (54-56).
Le mélange avec des vétérans d’Indochine avait été au contraire perçu comme particulièrement intéressant pour les élèves des promotions d’alors, avec un mix rare où certains cadres de l’école avait servi aux côtés de certains de leurs futurs élèves quelques années plus tôt, et il n’était pas rare d’y trouver des élèves décorés d’une Valeur Militaire, d’une Croix de Guerre T.O.E. voire de la Médaille Militaire.
En 1966, la différenciation se poursuit donc, avec l’apparition d’un nouvel uniforme pour les élèves issus des sous-officiers (alors appelé “2e Bataillon”, plus familièrement “2e Bat”). Les Dolos (du nom d’une marque de corned-beef jadis dans les rations, non de la divinité grecque éponyme) deviennent une “race” à part entière : une école, un uniforme (qui reprend les couleurs de la tenue traditionnelle des officiers d’infanterie et du calot de Cherchell pour le képi), des traditions propres, et une formation, initialement d’un an, qui passera à deux en 1986.
Dans le processus de refonte, des travaux sont entrepris, permettant à la fois de loger les nouveaux Dolos donc, mais aussi à partir de 1970 les formations d’EOR, assimilées au 3e Bataillon jusqu’à ce que celui-ci devienne la première année du cycle “Cyrard” en 1982 alors que le cycle de la Spéciale passe à trois ans.
Sans oublier, de 1977 à 2010, l’Ecole Militaire du Corps Technique et Administratif (EMCTA), déménagée en 2010 sous le nom historique d’Ecole d’Administration Militaire (initialement fondée en 1875) par fusion avec les autres organismes de formation d’officiers des services et corps administratifs, avant de devenir depuis 2013 l’Ecole des Commissaires des Armées (Salon de Provence).
L’amalgame est cependant maintenu entre toutes les formations d’élèves officiers, d’active ou de réserve, de Saint-Cyr ou d’autres écoles (dont Polytechnique), pour les premiers mois destinés à l’ “acculturation militaire”.
Puis, à partir de 1991, les EOR sont renommés “4e Bataillon“, jusqu’à ce que la suspension du service militaire et l’évolution vers la professionnalisation des armées entraîne en 2001 l’apparition des premiers “officiers sous contrat“, intégrés à l’ESM4, puis plus récemment des premiers stagiaires issus des partenariats Grandes Ecoles notamment.
Académie Militaire de Saint-Cyr, EMAC, good news ?
Comme pour l’EMIA des actuels Dolos en son temps, la naissance de l’Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC) et de l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan (EMAC) est finalement l’évolution logique et prévisible des transformations des formations d’officiers depuis la professionnalisation des armées.
D’ailleurs son uniforme, bien que nouveau, s’inscrit dans la continuité d’une tradition militaire française ancrée dans son histoire, reprenant nombre d’éléments de la tenue d’officier modèle 1921, et le Bleu Horizon légendaire que conservèrent certaines unités de réserve jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Logique du fait que l’EMAC reprend aussi une partie des traditions des EOR (Elèves Officiers de Réserve), et notamment chant et devise : “L’Audace de Servir“.
Mais le nom d’ “Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan” quant à lui semble quelque peu alambiqué, les écoles étant habituellement nommées par le grade ou la fonction de sortie (école d’officer, de sous-officier, etc.). “Ecole Militaire des Officiers Sous Contrat” aurait paru plus logique. Cela reste du détail.
Si certains anciens ayant connu les formations partiellement ou totalement amalgamées ont pu nous faire part de leurs inquiétudes quant à l’éclatement des formations en un nombre toujours croissant d’écoles, l’armée de 2030 où serviront ces officiers n’est plus du tout celle de 1960, de 1980 ou même de 2000, et la spécialisation croissante engendrée par la technicité grandissante des moyens rend nécessaire des écoles et structures de formation spécifiquement adaptées, tout comme ce fut le cas en d’autres temps de grandes évolutions techniques dans l’art militaire avec l’apparition alors d’écoles spécialisées sur tout le territoire.
Ainsi, chaque école de la nouvelle académie forme un profil défini d’élèves, destiné à un cursus professionnel particulier. Il est cependant à espérer qu’on ne passe pas à côté d’un profil novateur type “Bigeard” (qui a transformé le combat moderne avec l’emploi des hélicoptères au combat notamment) au motif que tel ou telle n’est pas “Cyrard” ou autre case pré-requise pour une carrière vermeil à laquelle ne sont a priori pas destinés les futurs officiers issus de l’Ecole Militaire des Aspirants de Coëtquidan, mais a priori les évolutions successives des différents modes de formation sont prévus pour parer à cela, d’autant que la France est maintenant sur la meilleure des voies concernant son rapport à l’innovation de Défense dans tous ses aspects.
De plus, la conscience d’une possibilité de retour des conflits de haute intensité entre armées régulières équipées et entraînées implique d’adapter la formation des cadres à ces nouveaux enjeux, très différents de l’asymétrie habituelle ou hybridée des vingt dernières années, notamment du fait d’une notion de durée et de violence des engagements, impliquant l’entretien de la rusticité et de l’esprit guerrier si souvent mentionnés ces dernières années, mais notions toujours plus éloignées de la société civile, avec les problématiques que cela implique lors du recrutement et de la formation des personnels, qui doivent donc être adaptés.
En outre, une telle structuration rend plus aisée l’attribution des moyens humains et matériels à ces formations, au détriment certes d’un esprit d’unicité pourra-t-on craindre.
On y répondra que la Sorbonne forme des élèves dans une foultitude de matières via une pléthore de formations différentes, sans que cela ne fasse se sentir les élèves moins “Sorbonnards” pour autant.
Il en sera certainement de même pour cette nouvelle Académie Militaire de Saint-Cyr, du moment qu’on lui laisse les années nécessaires à ce que se forme un esprit nouveau, où certains seront Cyrards, d’autres Dolos, d’autres sous d’autres surnoms à définir, mais où tous seront d’une identité-socle collective qui se construira avec le temps dans l’héritage nourricier commun d’un creuset d’officiers souvent déplacé, parfois éclaté, mais à la longévité plusieurs fois centenaire.
Reste le difficile sujet des formations (et rôles) des réserves, alors que la question revient de plus en plus souvent, mais c’est un autre point, certes lié, et considéré très sérieusement au plus haut niveau.
Clin d’oeil amical à H., récemment sortie une 2ème fois de l’ESM4, une première comme officier de réserve il y a quelques années, une deuxième comme OSC de la dernière promotion ESM4 avant l’EMAC.
Ce qui est bizarre finalement c’est que le camouflage soit venu si tardivement comme une évidence pour le terrain:
https://mobile.twitter.com/colorizationFR/status/1467538586035752975
Au final, on se mettra des foulards de couleurs pour se distinguee entre armées, puisque tout le monde passe au multi-cam…
https://www.forcesoperations.com/vers-un-bariolage-multi-environnement-unique-pour-les-armees-francaises/
Le motif de camouflage, c’était selon les armées plus une affirmation que pour faire passer le soldat le plus inaperçu possible…
https://twitter.com/armeedeterre/status/1524684544531644417
Les officiers français ont longtemps préféré le choc au feu, une manière plus noble de faire la guerre puisque la France avait un vivier d’hommes supérieur à ses voisins pris indépendamment. Que de défaites cela a engendrées…
https://www.cairn.info/revue-corps-2014-1-page-91.htm
Les uniformes et l’apparat, pour le cérémonial.
Manifestation de l’entraînement, moyen de contrôle administratif, moyen de contrôle politique et hommage.
https://twitter.com/Inflexions10/status/1637881405664382976
Si on doit vraiment doubler la réserve, va falloir sérieusement réfléchir au cursus…
https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2022/12/15/reserves-23536.html
C’est la période de la Galette…
https://twitter.com/TFressin/status/1611263197381816320
Saint Cyr est sur la sellette, les officiers française ne fint pas assez “Europe de la défense” :
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-creation-d-une-ecole-de-guerre-europeenne-permettrait-de-developper-une-strategie-militaire-indispensable-en-europe-20210413
J’ai écrit trop vite, c’est donc l’école de guerre qui ne serait pas assez “pro-européenne”.
L’Ecole militaire (à Paris), sur une idée du maréchal de Saxe, le roi Louis XV fonda par l’édit du 13 janvier 1751 « une école militaire, pour le logement, subsistance, entretien et éducation dans l’art militaire, de cinq cents jeunes gentilshommes de notre Royaume »…
Sa construction, faute de moyens, fut très laborieuse. Les travaux ne commencèrent qu’en 1753 ; ils furent arrêtés en 1760, reprirent en 1768 sur un plan totalement nouveau présenté à Choiseul et réalisable par tranches.
La première pierre en fut symboliquement posée le 1er juin 1769.
Ce serait du coup très orienté.
https://www.opex360.com/2023/01/10/lotan-et-lunion-europeenne-veulent-porter-leur-partenariat-a-un-niveau-superieur/
Après l’audition du directeur de la DGSI, c’est sûr que ça va valser…
https://www.challenges.fr/entreprise/defense/russie-revelations-sur-ces-militaires-francais-sous-influence_853283
Pourquoi Saint Cyr est à Coëtquidan ? Par la grâce du “Roi Jean” (article pompé sur le site de “Theatrrum belli”):
11 janvier 1952 : mort de de Lattre de Tassigny (Paris).
Le général d’armée Jean de Lattre de Tassigny, affectueusement surnommé le roi Jean par ses hommes, meurt à 62 ans. « Il a choisi la cavalerie à la sortie de Saint-Cyr (de la promotion qui précède celle des Juin, de Gaulle ou Bethouard) et sera d’ailleurs blessé par la lance d’un uhlan dans les premières semaines de la Grande Guerre en 1914 (voilà donc un homme qui aura combattu à cheval comme officier subalterne et qui connaîtra l’entrée dans l’ère atomique comme général d’armée). Mais, lorsque commencera la guerre des tranchées où la cavalerie n’avait plus sa place, il demandera à passer dans l’infanterie. C’est ainsi que, peu avant la Deuxième Guerre mondiale, il commandera le 151e RI à Metz, laissant dès cette époque le souvenir d’un chef au comportement atypique. Dans l’armée d’armistice, il commande la Région dont le siège est alors à Montpellier et galvanise ses troupes pour la préparation de la revanche, tout en s’intéressant de très près à la jeunesse des camps de jeunesse. Ses tentatives pour s’opposer à l’invasion de la zone sud en novembre 42 lui valent d’être emprisonné par le gouvernement de Vichy… Il s’évade de la prison de Riom avec le concours de sa femme et de son jeune fils Bernard. Il gagne Londres puis Alger. Pour les combats de la Libération et la période qui suit, il prend des décisions et donne des impulsions qui réorientent puissamment l’armée de terre : Amalgame des troupes venues d’Afrique du Nord et des unités FFI. Création de l’école des cadres de Rouffach, dont l’esprit orienté vers une vie rustique en plein air et la pratique intensive du sport anticipe le style qu’il impulsera à Saint-Cyr dont il obtient l’installation à Coëtquidan, en lieu et place de la banlieue parisienne. Amalgame à Saint-Cyr-Coëtquidan des recrutements directs et semi-directs au sein de l’École Spéciale Militaire Interarmes, qui allait exister jusqu’en 1960. Le commandement en chef en Indochine lui échoit sur sa demande alors qu’il était inspecteur général de l’armée de Terre (Juin avait décliné la proposition). Le témoignage de son fils Bernard, alors lieutenant sur ce théâtre d’opérations et qui devait y laisser la vie, a incontestablement joué un rôle dans cette décision. Nommé maréchal de France sur son lit de mort, il est inhumé dans son village vendéen de Mouilleron-en-Pareds, où il est le concitoyen de Clémenceau ». GA Jean-René Bachelet.
« Soyez, mes amis, de ces êtres aimés des Dieux, refusez le bonheur des petites âmes manœuvrières qui essaient de profiter de tout et cherchent leur satisfaction à l’abri de leur caste, au milieu du malheur de leur pays. Si vous cherchez la joie, cherchez la joie la plus haute : celle du don de soi, celle du sacrifice pour la patrie, celle de l’effort vers un monde nouveau ; la joie de pouvoir donner à votre tour l’existence au pays qui vous a faits ; la joie de donner l’exemple, la joie de donner confiance, la joie d’être ce qu’il y a de plus noble au monde : un donateur ; la grande joie plus grande que la souffrance, celle d’être quelqu’un et de souffrir pour quelque chose, celle d’être un homme qui devient libre en devenant soi-même au service d’une Cause plus grande que lui. »
Extrait de l’appel à la jeunesse vietnamienne, discours prononcé par le Général de Lattre de Tassigny, chef du Corps Expéditionnaire d’Extrême Orient, à la Distribution des prix du Lycée Chasseloup-Laubat à Saigon, 11 juillet 1951.
À lire à l’heure ukrainienne…
https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/01/30/coetquidan-une-academie-a-l-heure-ukrainienne-23639.html