Depuis deux jours circule cette photo, légendée de diverses façons et mentionnant généralement un “mercenaire étranger” qui appartiendrait à l’EUROGENDFOR, laquelle serait une force militaire européenne. Face au manque d’informations disponibles pour le grand public et aux rumeurs qui peuvent circuler, le Collectif TRE souhaitait apporter des précisions neutres, vérifiables et vérifiées.

Avec la fin du service obligatoire toujours plus reculée dans le temps, le nombre de personnes en âge de travailler ayant une expérience du monde FDO / MIL (Forces de l’Ordre et Militaires) est en conséquence chaque année plus faible, et permet à la fois l’émergence d’informations fausses, erronées ou biaisées, et leur diffusion rapide du fait des fantasmes nés de la porosité déclinante entre les mondes civils et FDO / MIL (taux de reproduction sociale supérieur à 30%), malgré l’existence des réserves.

Nous ne rentrerons dans aucune considération idéologique, le Collectif TRE étant composé de militaires notre positionnement est par définition et par essence neutre (article 10 du Code du Soldat). Comme nous l’avions déjà fait suite aux manquements et fausses informations de la presse sur les coûts du remplacement de la P4 par le VT4seuls nous importent les faits, et la logique de cohésion nationale entre citoyens, au détriment des mensonges, inventions et falsifications destinés à diviser ou à créer le buzz à des fins lucratives.

Avec plus de 100 000 visiteurs uniques par an dont une part non négligeable de civils (comprendre : ni militaires ni forces de l’ordre), le site TRE participe indépendamment et bénévolement au lien armée-nation (et au-delà au lien FDO / MIL – monde civil) depuis plus de 3 ans. Il nous a donc semblé de notre devoir de “débunker” cette récente “fake news” qui touche au domaine militaire (via l’incrimination de la FGE) et va à notre goût trop loin, et vous allez comprendre pourquoi.

La fameuse image (Source : Twitter).

La fameuse image (Source : Twitter).

Une photo récente ?

Pour commencer, rappelons que cette photo d’un CRS (policier donc, et non militaire comme le sont les Gendarmes Mobiles par exemple), qui ressort dans le cadre des photos illustrant les forces déployées dans le cadre du mouvement des Gilets Jaunes, ne date littéralement pas d’hier, ayant été prise début 2018 (a priori le 29 mai, voir ici pour les exifs du fichier originel). Elle est donc totalement sortie de son contexte.

Un mercenaire étranger ?

Ensuite, les insignes arborés seraient preuves de l’appartenance de ce personnel à une force étrangère, voire un “mercenaire” comme on peut le lire en plusieurs endroits. Qu’est un “mercenaire” ? Reprenons la définition du mot, à partir du texte de référence en la matière : les Conventions de Genève, en l’occurence le Protocole additionnel (consultable ici).

Un mercenaire est un combattant étranger aux parties en conflit, spécialement recruté dans le pays ou à l’étranger, prenant une part directe aux hostilités et ayant un avantage personnel à participer au dit conflit, qui doit prendre la forme d’une rémunération nettement supérieure à celle de ses homologues de l’armée régulière. Combattant de métier, il est recruté et payé par un état, une entreprise, un mouvement politique ou toute autre organisation légale ou non, en dehors du système statutaire de recrutement militaire d’un pays, et n’est pas soumis à l’adhésion à un statut professionnel découlant d’une législation ou d’une coutume locale stable.

Il ne peut donc s’agir à la fois d’un mercenaire et d’un personnel d’une police ou force armée étrangère.

De plus, aucune loi française ou européenne ne permet l’intervention d’un personnel policier ou militaire étranger même membre de l’UE dans des manifestations pour la mission qui est ici réalisée. Stop aux fantasmes, les textes de lois français et européens sont tous disponibles en langue française sur les sites adhoc (Legifrance etc.).

Un personnel de l’EUROGENDFOR ?

Certains vont même jusqu’à faire un raccourci avec l’EUROGENDFOR (ou FGE en français : Force de Gendarmerie Européenne), qui serait une milice au service de l’Europe.

Rappelons que la FGE est une mission de coopération entre les forces de Gendarmerie européennes (des militaires donc, non des policiers comme ici). Elle n’est ni une force préétablie comme le sont la Police, la Gendarmerie etc., ni un outil de maintien de l’ordre intra-européen.

En effet les missions de la FGE ne couvrent que :

  • des zones déstabilisées,
  • hors du territoire de l’UE,
  • dans les cadres précis de la politique de sécurité et de défense commune européenne, de l’OTAN, de l’ONU et de l’OSCE, principalement,
  • lorsque ces zones sont considérées stratégiquement comme “en sortie de crise”, c’est-à-dire typiquement à la suite d’une guerre civile ou d’une crise locale armée.

La FGE intervient alors, sous mandat international, pour mener des actions séparées ou combinées de formation des unités de police locales, d’aide au maintien de l’ordre et de police judiciaire, essentiellement dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et contre le crime organisé (trafics de biens, de drogues, de personnes etc.).

La FGE (EUROGENDFOR) en Centrafrique, ici avec des éléments français (à gauche) et espagnols (à droite) (Source : ECPAD).

La FGE (EUROGENDFOR) en Centrafrique, ici avec des éléments français (à gauche) et espagnols (à droite) (Source : ECPAD).

En France, la FGE s’est faite connaître du grand public notamment avec les éléments de Gendarmerie français armant le dispositif POMLT en Afghanistan, où l’objectif était principalement de former les forces de Police afghanes en préparation du retrait des forces alliées du pays.

Gendarmes français de la FGE (EUROGENDFOR) appuyant des éléments de la Police Nationale Afghane (pick-up vert) à un point de contrôle (Image GN).

Gendarmes français de la FGE (EUROGENDFOR) mission POMLT appuyant des éléments de la Police Nationale Afghane (pick-up vert) à un point de contrôle (Image GN).

Notre CRS, policier national (au propre comme au figuré), ne peut donc être un personnel de l’EUROGENDFOR, par essence militaire et déployé sur zones de crises graves.

Des symboles politiques ?

La méconnaissance du monde FDO / MIL que nous mentionnions en préambule est la cause de nombreux détournements et mésinterprétations d’images et de photos de personnels policiers et militaires.

Comme de nombreux autres corps de métiers, mais avec une présence et une force sans doute plus prenants ici, les forces de l’ordre et militaires ont leur propre folklore, tantôt issu de l’Histoire, tantôt influencé par la pop-culture, depuis les films et séries, en passant par la bande dessinée (origine du polémique symbole Punisher notamment, lui-même basé sur le personnage joué par Bronson dans le film Un Justicier dans la Ville), et la musique.

Le symbole Molon Labe est précisément part de ce folklore. Rapportés par Plutarque dans son récit de la bataille des Thermopyles (480 AEC) opposant l’envahisseur Perse aux Spartiates, ils seraient les mots de leur roi agiade (= co-roi) Léonidas, en réponse à la demande des Perses qu’ils déposent les armes. Il aurait ainsi répondu, littéralement : “venez les prendre”.

(Source : Vector Stock)

(Source : Vector Stock)

Depuis, la phrase a été reprise telle quelle :

  • vers 1778 par les indépendantistes coloniaux américains lors de la Guerre d’Indépendance, soutenue par la France, des 13 Colonies contre l’Empire Britannique ;
  • en 1835 lors de la Révolution Texane, soulèvement populaire contre le Mexique ;
  • depuis 1913 par le 1er Corps d’Armée grec ;
  • en 1957 par les indépendantistes chypriotes opposés à l’armée britannique ;
  • depuis 1983 par le SOCCENT (Special Operations Command CENTral, sous-commandement en charge de la planification et conduite des opérations spéciales pour la zone centre, soit Asie occidentale, centrale et Afrique du Nord),
  • et depuis les années 2000 par une des équipes de football américain de l’Université du Michigan.

Elle a bien sûr connue une large diffusion avec la popularité du film 300 de Zack Snyder.

Elle n’a donc pas de constance politique dans les institutions ou groupes qui l’ont adoptée, contrairement à l’affirmation avancée par de nombreux vecteurs non neutres politiquement.

Certes la phrase a été reprise par les défenseurs des droits des armes aux USA et ailleurs, mais vu la signification première de ladite phrase (venez prendre nos armes si vous l’osez), cela semble relativement logique et compréhensible.

Elle est également reprise par un nombre incalculable d’entreprises, d’associations sportives, de clubs, et bien sûr d’unités FDO / MIL, de tous pays et de toutes cultures, jusqu’au Japon dans la culture manga et airsoft, mais aussi en Irak parmi les forces anti-terroristes, les irakiens étant pourtant parmi les descendants historiques des Perses s’étant vus opposer cette phrase.

Décryptage des symboles

Faisons court, nous avons suffisamment expliqué jusqu’ici.

Le grade est bien français, celui d’un lieutenant. Il s’agit d’un patch PVC basse visibilité (= pas en vraies couleurs mais en couleurs discrètes).

Grade PVC Brigadier-Chef (Image La Tranchée Militaire).

Grade PVC Lieutenant de Police.

Le MOLON LABE est un “morale patch” fréquent dans le monde FDO / MIL, comme nous l’avons vu. Rien de choquant en valeur absolue, de plus, le MinInt avait en mai dernier expliqué que “le règlement de la police prohibe le port sur la tenue d’uniforme de tout élément, signe, ou insigne, en rapport avec l’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative“, hors ce patch ne renvoie à aucune idéologie précise ; la cellule disciplinaire des CRS avait cependant été contactée, et le personnel concerné sommé de retirer son patch.

L’insigne au pistolet quant à lui est celui des Tireurs Qualifiés du Centre National de Tir de la Police Nationale, apparemment à étoile de bronze

Insigne Tireur Qualifié CNT

Insigne Tireur Qualifié CNT étoile d’argent.

Le patch “O POS +” est bien évidemment le groupe sanguin, et contrairement aux affirmations des “spécialistes du net” (y compris dans la presse et c’est bien triste), il n’a rien à voir ni avec l’opération Sentinelle ni avec de supposées formations paramilitaires.

Il est simplement indispensable et exigé sur toutes tenues pour faciliter la prise en compte médicale du personnel.

Il est à noter que les CRS sont formés aux premiers secours en contexte dégradé (SOC1, comparable au SC1 militaire), et que l’unité à laquelle celui-ci appartient l’est encore plus, et vous allez comprendre pourquoi.

Patch de groupe sanguin O positif (image TOE Concept).

Patch de groupe sanguin O positif (image TOE Concept).

Sur le bras de ce CRS figure son insigne d’unité d’appartenance, en l’occurrence le SPI4G.

De quoi s’agit-il ? D’une unité d’intervention des Compagnies Républicaines de Sécurité spécialisée dans l’anti-terrorisme.

Techniquement c’est une unité d’intervention intermédiaire, au recrutement très sélectif et à la formation renforcée, placée en deuxième échelon dans le Schéma National d’Intervention des Forces de Sécurité (cliquer pour plus d’informations), aux côtés des BAC et BRI de la Police Nationale et des PSIG Sabre et PSPG de la Gendarmerie Nationale.

Le troisième échelon, l’intervention spécialisée, étant constitué par les RAID, GIPN, BRI-PP, et GIGN.

Ils sont donc particulièrement formés, notamment aux secours en contexte dégradé, et à l’intervention en présence d’une menace terroriste ou assimilée (tuerie de masse, forcené etc.).

Insigne en pleines couleurs des SPI4G

Insigne en pleines couleurs des SPI4G

Conclusion

On ne peut dès lors que déplorer qu’un personnel des CRS qui a fait acte de volontariat pour intégrer une unité d’élite spécialisée dans la lutte contre le terrorisme et la protection des populations soit ainsi salie par les affabulations colportées par une minorité et reprises en masse sur Internet et particulièrement les réseaux sociaux (en l’occurence près de 20 000 partages de la fake news en 48h), le tout facilité par le manque de travail de recherche minimal de certains professionnels de l’information.

On déplorera également le détournement de l’image, devenu un classique, avec le coup de la photo vieille de plusieurs semaines / mois / années qu’on ressort opportunément à l’occasion d’évènements ou de crises nationaux ou internationaux.

Chaque jour, policiers, gendarmes et militaires sont au service des populations pour assurer leur sécurité et la préservation de l’intégrité de leurs biens et de leurs personnes. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit des membres d’unités oeuvrant à la lutte contre le terrorisme comme c’est le cas pour ce CRS. Il convient donc de ne pas les salir en les confondant avec des mercenaires ou des fanatiques de quelque mouvance politique que ce soit, aussi tentants que puissent être pour certains les fantasmes des théories du complot.